En séance, il arrive qu’un passage d’artiste en scène se passe bien et qu’il soit salué par le public puis qu’une fois la scène libre et disponible pour les suivants, ces derniers disent « ça va être dur de passer après ça… ».
Il faut s’y intéresser et y répondre activement sinon cela pourrait affecter le plaisir et la liberté des artistes ! Et notre but à nous metteurs en scène est que chacun/chacune puisse se sentir libre de s’exprimer pleinement.
Cela revient à s’interroger : Qu’est-ce que je fais exister dans mon esprit ? Et est-ce que cela sert mes intérêts ? Est-ce que cela va impacter la qualité de ma liberté ?
Regardons de plus près.
Tout dépend de ce qu’on y met derrière. Ça peut être quoi ?
-> Un compliment dissimulé adressé à la ou aux personnes venant de passer en scène. Dans ce cas-là, on peut le formuler plus clairement et l’adresser directement à la personne concernée. Ça fait plaisir aux deux parties !
->un aveu de fragilité. Ce qui signifierait de façon détournée : moi ce que je vais vous faire c’est peut-être moins bien parce que j’ai pas une idée aussi claire que la sienne ou que je ne me sens pas aussi talentueux. C’est intelligent parce qu’ainsi on rabaisse notre exigence de performance et on prépare le public à voir quelque chose de moins bien. Comme ça, si c’est bien ce sera surprenant. C’est futé ! Le public ne s’attend à rien, il ou elle nous a prévenu, on ne pourra pas être déçu, on ne pourra qu’être surpris. C’est une façon de traiter sa peur et d’ôter une pression.
« Traiter sa peur », allons plus loin : sa peur de quoi ? Quels sont les éléments qui figurent dans la toile de cette peur ? Il y a l’artiste en lui-même, celui qui vient de passer et un public. Donc la peur de ne pas être bon vis-à-vis de soi ; la peur de ne pas être aussi bon que l’autre et aussi la peur de décevoir un public puisque dans la situation qui nous intéresse il y a un public qui vient d’approuver et d’apprécier ce qui vient de se jouer. Et nous, on passe après ça et on a peur de quoi ? …De gâcher le bon moment avec sa propre prestation dont on n’est pas sûr qu’elle sera bonne. Bon d’accord, mais allons encore plus loin. Appréhendons cette situation d’un point de vue politique : si vous vous abaissez à cette peur alors vous validez indirectement un monde dans lequel dès lors qu’une création existe, qu’un chef d’oeuvre vient de se créer, qu’un tube vient de sortir, alors on se met sur stop et on ne crée plus rien. C’est pas un monde démocratique ça ! Il faudrait arrêter de chercher, de créer, d’explorer sous prétexte qu’un chef d’oeuvre a été crée? Non ! Continuons ! Au-delà de nos créations personnelles, c’est aussi la création en général qui est en cause, c’est la liberté d’association qu’on valorise, la liberté d’expression qu’on continue de faire valoir et de faire vivre, c’est la beauté de l’altérité, de la pluralité en tant que richesse propre de l’humain qu’on met en valeur.
Et puis, si l’on revient à sa propre création, on ne sait jamais comment va être reçu notre propre geste créatif. Même si c’est maladroit ou moins bien, on ne sait jamais ce que vous allez offrir au public. Dans une rencontre par exemple, il arrive que la maladresse puisse séduire. On ne sait jamais ce qui peut toucher l’autre et donc le public. Une chose est sûre c’est que vous allez toucher quelqu’un pourvu que vous êtes au plus proche de vous-même et que si ce n’est pas le cas, alors on s’en fiche ! Faire du théâtre c’est accepter de se lancer dans l’inconnu en sachant qu’on peut échouer.