Trouver le jeu !
L’improvisation est un superbe exercice pour les comédiens et comédiennes car elle exige leur spontanéité. Ça peut être un bol d’air pur, un moment de grâce, un rendez-vous insoupçonné et merveilleux avec soi-même et avec le ou la partenaire, comme l’épisode d’une vie qu’on espère unique et qu’on souhaite vivement achever tellement on peine à exister et qu’on se sent ramer ! Ça se travaille l’improvisation. Et ce n’est pas une discipline qui requiert des performances intellectuelles particulières, des capacités de répartie incroyables ou une grande culture générale. La qualité de son être-en-scène est ailleurs. Prenoms un exemple : Imaginons une improvisation dont le thème serait : Des chercheurs scientifiques travaillent dans leur laboratoire. Il va de soi qu’une personne experte en science de par sa curiosité, ses études ou sa vie professionnelle se sentirait plus à l’aise avec ce thème qu’un profane du domaine. Mais la qualité d’une improvisation ne repose pas sur des connaissances. Certes l’experte en science sera à même d’employer un vocabulaire adapté et de s’appuyer sur des informations fidèles à la réalité ; ce sera probablement intéressant et précis mais est-ce que ce sera une bonne improvisation ? Pas sûr ! Peut-être que le public va s’ennuyer un peu autant que l’improvisateur qui ne fera que de témoigner de sa vie professionnelle qu’il connait bien. Il y a donc autre chose à donner. Il faut regarder du point du vue du public. Le public n’est pas sensé connaitre les métiers, la culture, l’origine, la trajectoire des artistes improvisateurs ; ce qu’il veut sentir c’est comment l’humain peut se lancer en scène avec courage dans l’inconnu et comment il peut agir avec enthousiasme dans cet inconnu ; comment l’humain qui s’attire lui-même des ennuis, qui prend des risques en allant sur scène va parvenir à maintenir un état d’esprit bienveillant, constructif, enthousiaste et courageux.
Il y a donc un certain état d’esprit à développer et à maintenir et des outils à connaitre et à maitriser. « Trouver le jeu » fait partie de la panoplie d’outils à disposition pour enrichir nos improvisations. La qualité de notre être-en-scène vient de la connaissance de ce qu’est la scène et l’improvisation, des attentes du public et de la maitrise d’outils. Encore une fois, elle n’est pas conditionnée et soudée à des capacités intellectuelles, culturelles et de repartie.
Un jeu est quelque chose qu’on répète. C’est une routine que l’on joue un certain temps, qu’on fait évoluer, qu’on renforce puis qu’on casse pour en créer une nouvelle. Il faut s’entrainer à éveiller sa vigilance aux petites propositions émergentes et construire à partir d’elles et les transformer en jeu.
Pour vous donner un exemple : L’exercice des 3 chaises. Trois chaises en ligne les unes à côté des autres. Un.e artiste sur chaque chaise et on se lance dans une improvisation sans savoir qui on est et où on est. Dans une première version, on peut parler et l’improvisation s’arrêtera quand tous les artistes auront quitté la scène ensemble. Dans la seconde version, idem excepté que les comédiens ne peuvent pas parler. Ce n’est pas qu’ils ne peuvent pas le faire c’est qu’ils choisissent de ne pas le faire. Dans cette version on verra qu’on est beaucoup plus attentif les uns aux autres, qu’on est hyper observateur et donc que l’on fait l’expérience d’être au présent.
Si l’un des trois se met à tousser légèrement. Les autres ont une réaction minime. Si le comédien tousse une nouvelle fois il peut en faire un jeu, le jeu de la toux. Il faut ensuite le renforcer, le répéter et le rendre plus grand, plus fort. On tousse plus fort et les réactions seront plus fortes. Et cela peut déboucher sur un changement. Les comédiens n’ont pas à se préoccuper d’autre chose que de jouer au jeu de la toux. Si on joue à un jeu et qu’on le renforce on suscitera du changement et on découvrira quelque chose de nouveau. Imaginons que celui ou celle qui tousse fort dérange les autres et l’un des deux dérangés choisit de bouger sa chaise en s’éloignant. Si on le refait en le renforçant des deux côtés alors on crée un jeu. Et si le dernier qui se sent surpris et dérangé par l’autre qui a bougé sa chaise décide par provocation d’avancer sa chaise avec violence vers la personne qui a bougé sa chaise, alors ça peut créer un autre jeu. Ils peuvent se poursuivre l’un après l’autre avec les chaises et celui qui toussait peut les regarder et tourner de plus en plus vite jusqu’à tomber dans les pommes. Cette chute peut faire arrêter ceux qui se poursuivaient et l’un peut crier de stupeur jusqu’à s’hyper ventiler et tomber à son tour. Le dernier peut etc…
Chaque jeu troué pr les comédiens les concentre sur une seule action, cela permet de rester au présent et d’epxloiter à fond une idée. La performance sera fondée sur ce qui se passe vraiment entre eux au lieu d’être centrée sur le fait d’inventer des manières d’arriver à la fin de la scène.
On peut répéter n’importe quelle action et en faire un jeu. Si on sourit, on peut répéter ce sourire. Si on le renforce cela va nous amener à découvrir quelque chose de nouveau chez soi ou l’autre. On peut répéter toute sorte de chose: le fait d’éviter le regard, soutenir le regard, toucher le partenaire, dire « oui monsieur », soupirer…
La chose importante est de ne pas planifier mais de découvrir quelque chose, de le répéter et de faire grandir jusqu’à ce que ça provoque un changement. on peut intégrer le jeu dans les enjeux relationnels des personnages. Si on découvre une jalousie, on peut la renforcer et bâtir à partir de la jalousie.
Issu du livre de Mark Jane « Jeu et enjeux, la boite à outils de l’improvisation théâtrale »