C’est par la peur qu’il faut commencer.
Ce qui empêche la plupart des gens d’être libre en scène c’est eux-même, c’est nous ! Donc, la première chose dont on doit se préoccuper c’est de nous ! On doit s’intéresser à cet empêchement, à la manière dont on bloque notre créativité. Qu’est-ce qui fait qu’on se sabote soi-même ? Le fait d’être en scène terrifie la plupart des gens c’est ce qui fait que le public est tellement impressionné quand on le fait. Donc il faut commencer par la peur. La regarder en face, s’y confronter, la comprendre pour l’utiliser. Comprendre comment la peur influence notre processus de prise de décision et trouver des outils pour gérer cela.
L’exercice « Renommer les choses » peut vous être proposé en cours pour comprendre les raisons pour lesquelles c’est difficile d’être en scène. Exercice qui se fait sous trois versions : la première on vous demande de vous balader dans la pièce et de pointer du doigt des choses que vous nommerez à voix haute. La deuxième, on vous demande la même chose mais vous pointez du doigt une chose et direz la chose pointée précédemment. Donc vous commencerez en silence. La troisième, on vous demande de désigner des choses et de les nommer par d’autres mots que ceux qui les définissent.
Si vous avez fait l’exercice en cours, un petit débriefe vous a été proposé et on vous a demandé : quelle version était la plus simple ?
En général, cela varie entre la première et la dernière. Tout dépend de comment on joue la dernière. Ensuite, quelle version était la plus difficile ? Entre la deuxième et la troisième. Dans la deuxième, il y a un petit challenge. Cette version suppose un critère de réussite. On désigne une chose et on veut dire la bonne réponse, on ne veut pas se tromper et on sait que l’on peut dire la bonne réponse puisqu’on a désigné juste avant l’objet en question. Mais même si c’est accessible à notre entendement et que c’est « simple » il y a un phénomène dans notre cerveau qui fait que l’on se dit « attend, je dois dire livre, oui c’est ça c’est livre… » c’est un processus lent et douloureux qui intervient quand on ne veut pas échouer. Plus on essaie de réussir, de bien faire, plus on se met la pression, plus on se rend la vie pénible et difficile car on ne veut pas échouer.
Il importe de savoir identifier les moments où on se met une pression pour savoir leur origine et interroger leur légitimité. On ne peut pas s’en vouloir de vouloir bien faire et d’avoir peur de mal faire, d’être vigilant sur le fait d’éviter des erreurs. Dans bien des domaines, il est nécessaire d’être méticuleux, de mobiliser son perfectionnisme, sa précision donc son cerveau et son attention en se rappelant qu’il faut bien faire. Mais posons-la question suivante : est-ce que ce désir de bien faire est utile dans le domaine de la parole ? Est-ce qu’en voulant bien faire et éviter des erreurs je sers les intérêts de mes interventions, est-ce que cela impacte la qualité de liberté de ma parole ? Lorsqu’on place le désir de bien faire et la peur de faire une erreur en priorité, alors on se rend les choses désagréables. Plus on va vouloir bien faire, plus on va se mettre la pression et être tenue par elle et plus on va se crisper intérieurement et plus cela va rendre les choses pénibles et difficiles. On empêchera un élément nécessaire à toute parole de qualité : la spontanéité. La spontanéité ne peut exister que si on accepte de prendre des risques, de plonger dans l’inconnu en sachant qu’on peut échouer. Non seulement ça enlève la spontanéité, mais ça enlève la possibilité d’atteindre le résultat escompté. Jacques Paget, expert négociateur dit que lorsque l’esprit est obnubilé par le désir d’atteindre un résultat, cela va obscurcir ses pensées et empêcher de l’atteindre. Il cite l’expérience communément vécue lorsqu’on cherche un nom ou un mot qu’on a sur le bout de la langue et qui vient à notre esprit au moment où on ne le cherche plus. Il s’agit d’un phénomène cérébral qui porte le nom de détachement. Lorsque l’esprit s’éloigne de l’obsession de réussir, les connexions neuronnales conservent leur liberté de s’effectuer dans tous les sens et aboutissent plus aisément à une solution. Tandis que l’obsession restreint le champs des possibles, l’esprit ayant déjà fait des choix et s’interdisant d’aller chercher dans d’autres directions. Pour découvrir quoique ce soit, il faut être libre. Pas vierge de toutes connaissances car aucune connexion intellectuelle ne peut surgir du néant. On n’invente rien sans savoir. Simplement libre. Détaché de toute connexion préétablie.
Certains auront trouvé que la dernière version est la plus simple. Elle peut être facile oui si on reste en sécurité, si on ne prend pas de risque. Il y a trois façons de ne pas prendre de risques : 1) créer une liste, 2) dire le même mot et 3)dire le nom des objets autour. On remplit la tâche de l’exercice mais il ne se passe rien d’intéressant, on n’a pas pris de risque. Pour faire cette version, on doit se contenter de désigner une chose puis de découvrir ce qui sort de notre bouche. On n’a aucune idée de ce qu’on va dire, on ouvre la bouche et un mot sort. On fait un grand sourire et on crie avec enthousiasme les mots qui sortent en allant vite pour tromper l’intellect, s’empêcher de se juger et laisser jaillir les choses.
Dans cette version, on peut sentir un risque, un danger.. on peut avoir peur que les mots révèlent quelque chose de secret chez soi. On peut avoir peur de ne pas être intéressant, drôle, cultivé, créatif. On peut avoir peur de révéler certains traits de notre personnalité qu’on suppose inacceptables pour soi et les autres. Personne ne veut être rejeté.
Donc, il y a la peur d’échouer et la peur du rejet. Nous devons accepter l’idée selon laquelle dans le théâtre, la prise de parole, la scène, il est question de spontanéité. Et, encore une fois, la spontanéité ne peut exister que si on accepte de prendre des risques, de plonger dans l’inconnu tout en sachant qu’on peut échouer. La peur d’échouer et celle du rejet on la met de côté, on fait de la place à soi.
L’exercice, par exemple, du clash permet aussi de travailler sa peur en se demandant « d’accord, je dois faire quelque chose de tout à fait nouveau et étranger pour moi donc potentiellement source de peur. La question c’est : « est-ce que je cède à mon besoin de sécurité et je reste dans la zone de confort qui ne me demande pas de prendre des risques ou au contraire, je m’autorise à créer et à libérer ma créativité quelle quelle soit? »