Seul en scène théâtre

Le Horla de Guy de Maupassant – adaptation de Julien Gelas 

 

Guillaume Loublier s’attaque au chef-d’oeuvre de la littérature française : Le Horla de Guy de Maupassant ! Ou plus précisément à l’adaptation de cette oeuvre par Julien Gelas, auteur, metteur en scène, pianiste et directeur du théâtre du Chène Noir à Avignon.

Julien Gelas transporte le personnage principal à notre époque et fait planer le doute de la menace, non pas uniquement sur l’être invisible comme dans la version originale, mais sur l’Intelligence artificielle sur laquelle il travaille.
C’est poignant et actuel et parfait pour poser la question de la peur de la technologie en partant du danger et des conséquences de cette peur lorsqu’elle reste irrationnelle.
 

Le mépris de la nature humaine : 

Dans le Horla, il est question d’un « invisible » pourtant plein de « puissances » lesquelles ont un impact sur notre corps et notre esprit – citons l’oeuvre originale « sur nous, sur nos organes, et par eux sur nos idées, sur notre coeur lui-même » – donc un invisible avec des puissances qui ne sont pas anodines pour nous, qui ne sont pas négligeables, insignifiantes, au contraire à considérer, qui méritent notre attention et vigilance puisqu’elles peuvent agir sur nous, mais qui reste dit-on un « mystère », un « inconnaissable » du fait que notre packaging sensoriel offert par la nature nous en limite l’accès. Nous ne faisons de l’expérience du monde que ce que nos sens permettent. Cette impossibilité d’accéder à ce territoire, à cet invisible dans lequel il y a des forces à l’oeuvre pouvant exercer une influence sur nous est source de frustration et c’est la nature humaine qui est accusée d’être limitante. Les sens ne sont pas épargnés par la critique ; ils sont dits « misérables » et passent un sale quart d’heure lorsque le protagoniste s’en prend à eux : « Nos yeux qui ne peuvent apercevoir ni le trop petit ni le trop grand (…) ni les habitants d’une étoile, ni les habitants d’une goutte d’eau. Avec nos oreilles qui nous trompent car elles transmettent les vibrations de l’air en notes sonores (…) Avec notre odorat, plus faible que celui d’un chien. Avec notre goût qui peut à peine discerner l’âge d’un vin ». « Il est profond le mystère de l’invisible et nous ne le pouvons sonder avec nos sens misérables ». 
Très tôt dans le Horla, il est porté à la conscience du protagoniste l’idée selon laquelle il doit composer avec des éléments de la réalité qu’il peut appréhender par ses sens et avec d’autres éléments qu’il ne peut pas appréhender et qui pourtant peuvent avoir une influence sur lui. Notre accès à la réalité n’est pas intégral mais partiel. Ça fait de nos sens des moyens limitants et des nous des êtres limités et vulnérables car à la merci des ces forces puissantes qui peuvent agir, opérer librement sans se voir opposer de résistance puisqu’évoluant dans cet invisible inconnaissable par nous qui sommes incapables de les identifier et de les neutraliser. 

Par la suite, on note des considérations sur le corps humain qui peut dysfonctionner et se faisant altérer la qualité de nos vies. Ce corps qui peut porter l’humain dans ses expériences dans le monde  et que l’humain doit supporter dans tous ses états. Maupassant fait dire à son héros « ce fonctionnement si imparfait et si délicat (entendre fragile) de notre machine vivante ». Ce n’est pas clairement dit mais on peut sentir à travers l’usage du mot « machine » pour dire le corps une représentation du corps comme étant un véhicule, un élément à dissocier de la personnalité, ne faisant pas partie de l’identité humaine ; un corps qui n’aurait qu’un intérêt fonctionnel. Dans ce cas, le corps qui accompagne l’humain dans ses expériences dans le monde est un véhicule nécessaire et utile lorsqu’il fonctionne et dans la situation inverse, c’est-à-dire en cas de dysfonctionnement, il perd de son utilité et devient un empêcheur, un frein, un poids. 

À la fin, lorsque le protagoniste est persuadé de l’existence de la créature qui évolue dans l’invisible, ce n’est plus uniquement les sens du corps humain qui sont l’objet de violente critique mais c’est la nature humaine dans sa globalité qui est rejetée. En se comparant au Horla lequel peut évoluer dans l’invisible, sans se faire voir des humains, tout en agissant dans le monde physique et exercer son pouvoir d’influence sur le corps et l’esprit de l’humain, le protagoniste considère que l’espèce humaine est imparfaite par rapport au Horla qui possède des compétences nouvelles, inédites et puissantes. Citons les considérations sur l’humain lorsque le personnage s’explique la raison de son incapacité à voir cette créature : « Notre corps si faible, si maladroitement conçu, encombré d’organes toujours fatigués, toujours forcés comme des ressorts trop complexes, notre corps qui vit comme une plante et comme une bête en se nourrissant péniblement d’air, d’herbe et de viande, machine animale en proie aux maladies, aux déformations, aux putréfactions, poussive, mal réglée, naïve et bizarre, ingénieusement mal faite, oeuvre grossière et délicate, ébauche d’être qui pourrait devenir intelligent et superbe ». 

le Horla de Guy de Maupassant adaptation de Julien Gelas festival Avignon 2024