Le Horla de Julien Gelas, figure littéraire du Cyberharcèlement au théâtre ?

Assises de l'Attention, Académie du climat de Paris, Guillaume Loublier, 2024

Assises de l’Attention, Académie du climat de Paris, Guillaume Loublier, 2024

Le 27 janvier 2024, aux Assises de l’attention à Paris, Maître Laure Boutron-Marmion témoigne de son combat contre le réseau social TikTok. Elle accompagne les parents de Marie, victime de harcèlement scolaire qui s’est réfugiée dans le réseau social TikTok avant de se donner la mort en 2021. Ses parents ont décidé de porter plainte contre TikTok.
L’avocate dénonce l’algorithme de TikTok, « un algorithme extrêmement puissant ». Elle souligne qu’il est « incontestable que Marie était mal et qu’elle l’a exprimé très expressément ». Selon Laure Boutron-Marmion, « par l’algorithme, l’adolescente a reçu en masse ces vidéos qui sont sur le même thème et qui ne peuvent que conduire à être encore plus mal ».

L’adaptation de Julien Gelas du Horla de Maupassant ose le parallèle avec l’ère numérique. Le Horla est une menace invisible et pourtant tangible, ainsi que le numérique est à la fois immatériel et indiscutablement matériel car reposant « sur de gigantesques infrastructures – des « macro-systèmes techniques », pour reprendre l’expression du sociologue Alain Gras[1] –, constituées d’une multitude de réseaux (terrestres, sous-marins, spatiaux, etc.) et d’équipements toujours plus abondants et sophistiqués (data-centers, serveurs, téléphones portables, tablettes, ordinateurs, capteurs, objets connectés, etc.). » (citation de l’article d’Anthony Laurent sur le site Sciences Critiques).

Le Horla provoque une angoisse terrible, croissante, gâchant l’existence de sa victime, l’éloignant de ses occupations et priorités et la manipulant à sa guise. C’est un ennemi dont il est particulièrement difficile de se défaire puisqu’il agit sans se montrer, se révélant insaisissable et doté du pouvoir de traverser les murs, concrets et imagés. Autrement dit, le Horla poursuit sa victime dehors et dedans, en public et en privé, jour et nuit. N’est-ce pas une des caractéristiques du Cyberharcèlement qui ne souffre d’aucun frein, obtenant tous les passes-droits et forçant les portes des chambres des victimes, s’installant partout et oeuvrant tout le temps ? Et comment l’arrêter ?

Le numérique, tel qu’il est appliqué aujourd’hui, n’est pas anodin pour l’être humain car il rogne les limites qui servaient, entre autres, à sauvegarder des espaces auxquels on tenait.

Ainsi que le dit Eric Fiat, « le for intérieur a besoin de la dialectique de la veille et du sommeil, du bruit et du calme, du visible et de l’invisible, du montré et du secret, de l’intime et de l’estime, du dehors et du dedans, du public et du privé, du collectif et du solitaire et du rapide et du lent. Que deviendrait la psyché des Hommes dans un monde où l’espace du sommeil, du calme, de l’invisible, du secret, de l’intime, de la solitude, de la lenteur se réduirait comme peau de chagrin ? »

Ces limites sont encore plus interrogées dans l’adaptation du Horla de 2024 par Guillaume Loublier, Laura Charpentier et Allan Duminil, équipant le protagoniste d’un système domotique biométrique révélant ce qui se passe dans le corps du personnage et intégrant le réseau social comme figure moderne du journal intime de la version originale de Guy de Maupassant.